PINARD contre BAUDELAIRE

L'association Patrimoine et Culture en Bassée-Montois, conjointement avec la Compagnie "Comment dire", présentaient "PINARD CONTRE BAUDELAIRE", une pièce interprétée par Eric AUVRAY, vendredi 6 janvier 2023, dans la salle des fêtes de Saint-Sauveur-lès-Bray.


Moments forts du procès

Eric Auvray, comédien, faisait partager les moments forts de ce procès en alternant successivement les différents rôles des protagonistes : plaidoiries de la défense, du Ministère public, prise de parole de Baudelaire et verdict final.

Rappel historique

"Les Fleurs du mal ou l’outrage à la morale publique


Le 21 juin 1857 parait le recueil « Les Fleurs du mal » de Charles Baudelaire. La presse, choquée, s’offusque. Le procureur général ordonne la saisie des exemplaires du recueil de poemes .Un mois plus tard, s’ensuivront procès et condamnation. Retours sur les tensions entre littérature et justice sous le Second Empire.


« Outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs »

Recueil de poésie moderne, écrits amoureux et surtout récit d’une époque, Les Fleurs du mal est jugé comme scandaleux à Paris. Le 20 août 1857 s’ouvre devant la 6ème chambre correctionnelle de la Seine le procès de Charles Baudelaire et de ses éditeurs.

Le réquisitoire est prononcé par Ernest Pinard, qui n’était autre que le procureur général dans le procès intenté au roman de Flaubert, Madame Bovary, pour les mêmes raisons quelques mois plus tôt. Il accuse la poésie de Baudelaire de manquer «au sens de la pudeur » et en outre de multiplier « les peintures lascives ». Il attaque non seulement le fond, mais aussi la forme.  

Pour la défense, Maitre Chaix d’Este d’Ange plaide l’indépendance de l’artiste et la beauté de l’œuvre. Cela ne suffira pas à convaincre la morale de l’époque. Circonstance aggravante, Baudelaire a également une réputation de marginal et se présente devant la Cour dans une tenue négligée.

En quelques heures, le recueil est condamné pour « délit d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs », en raison de « passages ou expressions obscènes et immorales ». Le poète et ses éditeurs sont contraints à payer une amende de 100 francs chacun et de retirer six poèmes du recueil s’ils souhaitent poursuivre sa vente à Paris.


Littérature et censure

Dans le contexte social de l’époque, le procès intenté contre Charles Baudelaire est tout à fait banal. Sous le Second Empire la justice engage régulièrement des poursuites contre les  hommes de lettres dont elle juge les écrits immoraux. Pourtant, le XIXème siècle témoigne d’un certain libéralisme, d’une société de loisirs en construction et de mœurs relâchées. 

Toutefois, l’opinion publique - soutenue par la multiplication des titres de presse - conçoit les écrivains comme suspects. Alors que finalement, à l’image de Flaubert ou de Baudelaire, ils ne font preuve que d’un réalisme frappant et d’une analyse dérangeante de l’époque. 

Finalement, plus de cinquante ans après l’abolition de la censure par la Révolution Française, le procès des Fleurs du mal ravive la question de la liberté d’expression. La presse foisonne et pourtant ne soutient que très peu les écrivains. Au contraire, les journalistes attirent surtout l’attention de la justice sur des écrits considérés comme obscènes. 

Baudelaire dira que « le livre doit être jugé dans son ensemble, et alors il en ressort une terrible moralité » et fera appel à ses amis - Aristide Briand ou encore Prosper Mérimée pour l’appuyer dans la presse. Néanmoins, la campagne à son encontre sera virulente. Le procès qui en découlera sera concis, tranché et finalement banal. 

Il faudra attendre presque un siècle plus tard pour que la cour de cassation annule la condamnation des Fleurs du mal en 1949. 84 ans après la mort de Baudelaire, le recueil connaitra finalement une réédition de son œuvre originale.


Le Léthé


Viens sur mon cœur, âme cruelle et sourde,
Tigre adoré, monstre aux airs indolents ;
Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants
Dans l’épaisseur de ta crinière lourde ; 


Dans tes jupons remplis de ton parfum
Ensevelir ma tête endolorie,
Et respirer, comme une fleur flétrie,
Le doux relent de mon amour défunt. 


Je veux dormir ! dormir plutôt que vivre !
Dans un sommeil aussi doux que la mort,
J’étalerai mes baisers sans remord
Sur ton beau corps poli comme le cuivre. 


Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne me vaut l’abîme de ta couche ;
L’oubli puissant habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule dans tes baisers. 


À mon destin, désormais mon délice,
J’obéirai comme un prédestiné ;
Martyr docile, innocent condamné,
Dont la ferveur attise le supplice, 


Je sucerai, pour noyer ma rancœur,
Le népenthès et la bonne ciguë
Aux bouts charmants de cette gorge aiguë,
Qui n’a jamais emprisonné de cœur. 


Les bijoux


La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,
Elle n'avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur
Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures. 


Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j'aime à la fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière. 


Elle était donc couchée et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d'aise
A mon amour profond et doux comme la mer,
Qui vers elle montait comme vers sa falaise. 


Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté,
D'un air vague et rêveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ; 


Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l'huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne, 


S'avançaient, plus câlins que les Anges du mal,
Pour troubler le repos où mon âme était mise,
Et pour la déranger du rocher de cristal
Où, calme et solitaire, elle s'était assise. 


Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l'Antiope au buste d'un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun, le fard était superbe ! 


Et la lampe s'étant résignée à mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu'il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d'ambre !